Illustrations : Le mouvement fédéraliste provençal
L'ardeur militante d'Amouretti, de Maurras, de Mange, de Denis- Valvérane et d'autres jeunes Félibres parisiens indisposait leurs aînés: bien introduits dans les allées du pouvoir, ces derniers ne voulaient pas se compromettre en rappelant, contre le jacobinisme officiel, les exigences décentralisatrices du mouvement impulsé par Mistral; à leurs yeux, le Félibrige devait rester une association exclusivement littéraire.
Ce conflit de générations éclata au grand jour le lundi 22 février 1892, à l'occasion d'un banquet donné par les Félibres parisiens. Amouretti y lut une déclaration fédéraliste qu'il avait rédigée avec Maurras en présence de Saint-Pons et de Mange: "Nous ne nous bornons pas à réclamer pour notre langue et pour nos écrivains les droits et les devoirs de la liberté, nous croyons que ces biens ne feront pas notre autonomie politique, ils en découleront" -et de demander le rétablissement des anciens parlements provinciaux, qui emploieraient les langues régionales dans l'administration, les tribunaux, les universités, les travaux publics. Les jeunes Félibres fédéralistes, ardents patriotes français, rejetaient toutefois "la méchante accusation de séparatisme" : il était bien clair à leurs yeux que la politique étrangère et la défense nationale devaient rester le privilège régalien du pouvoir central.
Cette déclaration fit scandale et valut à la Société des Félibres Parisiens un avertissement du Préfet de la Seine. Mais les jeunes fédéralistes eurent aussitôt l'appui de Mistral et d'autres personnalités félibréennes, tel Joachim Gasquet, l'ami et le biographe de Cézanne. Le 1er mars 1893, ils fondèrent l'Escolo Parisenco dou Felibrige (l'Ecole parisienne du Félibrige), ce qui entraîna leur exclusion de la Société des Félibres de Paris. L'Escolo, où se côtoyaient anarchistes anticléricaux et monarchistes catholiques, trouva des débouchés dans la presse d'opposition, grâce notamment à ses liens avec Maurice Barrès. Mais partir de 1897, l'affaire Dreyfus brouilla fédéralistes de gauche et fédéralistes de droite, si bien que l'Escolo disparut en 1899.
Son influence lui survécut au XXe siècle à travers deux courants: l'Action Française de Maurras (qui voyait en la monarchie le seul régime assez stable pour pouvoir octroyer aux provinces une véritable autonomie) et la Fédération Régionaliste Française de Charles-Brun, ancien secrétaire de l'Escolo. Témoin privilégié de cette aventure, Denis-Valvérane en fut aussi l'illustrateur et le mémorialiste, notamment dans son livre Lou Maianen.
M.M.